Слайд 1Les circonstances de l’action
Elise Marrou (Sorbonne Université) – CUF
Moscou – 4/12/2019
Слайд 2Programme de cette première séance
I. CARACTÉRISATION DE L’AGIR
II. CHAMPS
DE PROBLÉMATISATION DE L’AGIR.
III. LES CIRCONSTANCES DE L’ACTION.
Слайд 3I. AGIR
Agir est un verbe intransitif que nous allons
devoir distinguer d’autres verbes fondamentaux, être, arriver ou advenir, faire
et produire.
Définition préliminaire : agir, c’est rompre ou en finir – fût-ce provisoirement avec l’inertie (= ne pas bouger en fait ou en droit, ne pas être capable de mouvement) ou avec l’inactivité.
Cette définition n’est pas tautologique, car on peut entendre, y compris en première approche, l’inactivité en un triple sens.
Слайд 4Inactivité – première déclinaison
L’inactivité s’entend tout d’abord comme absence d’agir
absolue ou relative. Ne pas agir, c’est donc être inerte,
être agi, être poussé (par exemple pour une pierre, être lancé (ou tout corps soumis au principe d’inertie) ou un corps doué de mouvement, comme celui d’un automate.
Dans cette première acception, être inactif est seulement un terme descriptif ou classificatoire qui détermine un type d’être, une ontologie particulière.
Seront donc dits inactifs en ce premier sens les corps qui n’ont pas en eux-mêmes le principe de leur mouvement, les artéfacts, la matière.
Слайд 5Être inactif – seconde déclinaison
En un second sens, être inactif
signifie être resté inactif alors qu’il eût fallu agir.
Cette
seconde caractérisation de l’inactivité renvoie à une privation d’agir propre, à un échec de l’action, à une faute, voire à un crime (là où précisément il faudrait agir, où l’on devrait agir, là l’on ne pouvait pas ne pas agir et où on est resté incapable d’intervenir, ces nécessités pouvant prendre différents sens, moraux, juridiques, politiques qu’il conviendra d’examiner de plus près.
« Inactif » désigne également celui qui est privé de ce qui rend sa capacité d’agir effective, parce qu’il cherche du travail (« la population inactive »), celui qu’on pousse ou qui est contraint à agir (qui est agir, le cas intéressant de l’action subie).
Слайд 6L’inactivité – dernière acception
En dernière instance, celui qui est inactif
est celui qui ne fait pas le moindre effort, qui
est passif au sens où il subit la succession des événements et de ce qui lui arrive.
Encore faut-il distinguer les deux figures de celui qui assume son inactivité (tendre au rien, au néant, au désœuvrement) et celui – l’akratique – qui ne parvient pas à faire coïncider ses actes et sa résolution.
Слайд 7Figures de l’inactivité
I. OBLOMOV
OBLOMOV, le personnage d’Ivan Aleksandrovich
GONCHAROV, peut-il être caractérisé comme celui qui ne fait rien
ou qui n’agit pas ? OBLOMOV, propriétaire terrien de Saint Petersbourg, cultive son penchant naturel à la paresse. Il est à la fois aboulique et apathique et passe son temps à s’incruster (littéralement) dans son divan ou dans son lit, répétant qu’il « a failli se lever ». Même l’amour est incapable de vaincre sa force d’inertie, si bien qu’il finit par ne plus faire corps qu’avec son divan.
Se présente comme un cas-limite : figure d’une vie tramée d’événements, un personnage qui n’évoque que des besognes insignifiantes, tout en proclamant qu’il a failli sortir de sa léthargie.
Слайд 8La collectionneuse (1965)- ROHMER
II. Le dandy-à-la-manière de ROHMER
Le collectionneur, Adrien,
et l’artiste, Daniel, dans une scène célèbre du film, reviennent
sur la difficulté de ne rien faire :
Daniel : « Depuis que je suis arrivé, je n’ai rien fait, je fais même de moins en moins. Je veux arriver au rien absolu. L’art, c’est très difficile, il faut une application et un soin énorme, dit-il en fermant les yeux. Je lis, car on pense toujours trop. Je ne dois pas penser dans ma direction à moi. Je vais me laisser mener. »
Слайд 9La collectionneuse – Eric ROHMER
« Il est terriblement difficile et
exigeant de ne rien faire, parce qu’il s’agit d’un effort
paradoxal, d’un art du désœuvrement, un art de ne rien faire. Mais on ne peut dire ici un art de ne pas agir. Couler ses journées dans le même moule, le premier y compris de renoncer à la curiosité de son regard de collectionneur, de la classification qui identifie les objets, les êtres vivants et les choses. »
Слайд 11LA COLLECTIONNEUSE - ROHMER
Adrien : « Je m’efforçais même de ne
plus penser, j’étais enfin seul devant la mer, loin du
rythme des croisières et des plages, réalisant un rêve très cher de mon enfance et d’années ou en années différé : j’aimais que le regard que je portais sur les choses fut le plus vide possible, exempt de toute curiosité de peintre ou de naturaliste. Cet état de passivité, de disponibilité totale. »
Слайд 12Vélléitaire et intempérant
Il faut distinguer ici au moins deux formes
du hiatus qui peut s’instituer entre l’intention d’agir et l’action
elle-même, distinguer par conséquent le velléitaire et l’akratique.
Le velléitaire : de velléité = désir ou envie faible qui peut ou non déboucher sur une action, une volition passagère qui n’aboutit pas à une décision. Le velléitaire a des intentions dont la faiblesse, la faible intensité ne lui permettent pas comme on le dit en français « de passer à l’action ».
La conscience de Zéno d’Italo Svevo (1913) : Zéno est le vélléitaire par excellence, l’irrésolu, qui ne se contente pas d’hésiter ou d’osciller ponctuellement, il faut des hésitations ou des résolutions non suivies d’effets sa forme de vie. L’existence de Zéno est à l’image de la relation qu’il entretient avec la résolution jamais tenue de la dernière cigarette.
Слайд 13L’intempérant
L’intempérant (ou comme on le traduit parfois l’incontinent) : Éthique
à Nicomaque, VII, 6. À confronter à Spinoza, Éthique, IV,
17, scolie). Celui qui voit le meilleur et fait le pire, celui pour lequel c’est plus fort que lui, celui qui littéralement ne peut pas faire ce qu’il veut.
Слайд 14Quelle définition de l’agir pouvons-nous extraire de ce portrait en
creux ?
Agir, ce n’est pas paresser, c’est s’efforcer, faire des
efforts pour réaliser un projet qui est dans le même temps une réalisation de soi.
Agir, ce n’est ni produire, ni faire.
Agir, c’est se fixer une fin et se donner les moyens de la réaliser. C’est donc accorder, ajuster la délibération et l’exécution, la délibération et l’action. Reste qu’agir tout court et agir pour agir ne vaut que pour les détergents et pour certains médicaments. Agir au mieux et pour le mieux (ce que Aristote nomme eupraxia), ce n’est pas agir égoïstement ou par calcul d’intérêts bien compris.
Agir, ce ne peut être se contenter de projeter de faire au présent, se cantonner aux bonnes intentions et aux vœux pieux. Agir, ce n’est pas rêvasser (le doux rêveur), ni rêver d’œuvrer (l’écrivain en herbe), c’est passer à l’acte.
Слайд 15Bérénice, racine
« Mais il ne s’agit plus de vivre, il
faut régner.
Il ne s’agit plus de discourir, il faut agir. »
Agir
renvoie à la fois au processus, au procès (ce qu’Aristote nommé energeia) et au résultat de l’activité, de l’action (entéléchie, aboutissement du changement réalisé). Agir, c’est réaliser une intention, une visée, un projet au sens fort de les rendre réels. Pour agir, il faut avoir la potentialité de fair, une capacité ou une disposition. Il faut actualiser ces potentialités ou les réaliser; on ne peut pas se contenter de l’activité entendue comme capacité à agir. (Aristote, Métaphysique, Théta, 6) : peut-on penser un agir pur ? Cad un agir qui ne laisse aucune place à aucune forme de réceptivité ? Si agir, c’est transformer tout en se transformant, les effets de l’agir sur l’agent ne sont-ils pas à mettre sur le compte d’une passivité au minimum partielle de ce dernier ? D’où la vulnérabilité, la fragilité constitutives de l’agir humain : on. Peut jamais promettre ou garantir le succès d’une action ? La contingence lui offre sa chance, mais dit aussi la limite interne et constitutive de son succès.
Слайд 162 remarques conceptuelles
NB1. Il y a un temps pour agir/
un temps où il est trop tard pour tergiverser (étym.
Tourner le dos à l’action, versari tergum), user de détours et de faux fuyants pour retarder le moment de la décision. Par opposition à penser, parler, agir.
« Le moment est venu d’agir »: cad il faut assumer les risques de la réalisation et du passage à l’acte. Il y a un temps de la réflexion, un temps pour la discussion et de la délibération qu’elle soit individuelle ou collective et enfin un temps de l’action.
On peut distinguer au moins trois modalités de ce temps de l’action : l’urgence de l’intervention, le moment opportun qu’il faut cueillir ou saisir (on pourrait très bien soutenir que l’irréversibilité de l’agir n’est pas simple mais double : ce qui est fait est fait, comme le dit le proverbe de manière laconique, mais le moment opportun ne se représentera pas), le temps de la longue durée. A ce titre, agir c’est bien transformer ce qui est, ce qui arrive, ce qui advient, intervenir dans le cours des choses pour y laisser sa marque.
Слайд 17Seconde remarque conceptuelle
Pour cette même raison, agir requiert efficacité et
applicabilité, mais n’y est pas réductible.
« Ce mouvement, cette passe, cette
feinte, en effet, nous ne pouvons les tirer de la fonction elle-même : celle-ci définit seulement l’abstraite possibilité de faire certaines feintes, certains actes dans une situation à la fois limitée et indéterminée. L’action est un irréductible : on ne peut la comprendre que si l’on connaît les règles du jeu (c’est-à-dire l’organisation du groupe à partir de son objectif), mais on ne peut en aucun cas la ramener à ces règles ; nu même la comprendre à partir d’elles si l’on ne peut voir à la fois l’ensemble du terrain » (Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, p.469).
Jean-Paul Sartre
Слайд 18Agir et autodétermination
Agir requiert des principes, une autodétermination par des
motifs. D’où l’impossibilité de réduire à l’avoir à une conduite
ou à un comportement (bien que les conduites puissent être comprises d’un point de vue méthodologique comme le matériau plastique qui permet d’étudier scientifique les motivations ou la motivation des agents via l’extériorisation.
Слайд 19Kant, fondements de la métaphysique des mœurs
« Tandis que les
choses, en général, sont déterminées de l’extérieur par des causes,
suivant des lois auxquelles elles sont aveuglément soumises, l’être raisonnable se détermine de l’intérieur par des motifs, suivant la représentation des lois, c’est à ce titre que l’on dit qu’il a une volonté ».
« Toute chose de la nature agit selon des lois. Seul un être raisonnable a la capacité d’agir d’après la représentation des lois, c’est-à-dire selon des principes, autrement dit : seul il possède une volonté ».
Слайд 20Les sens de l’agir
Agir s’oppose à pâtir, c’est-à-dire à la
fois à recevoir et à subir. L’agir qui est le
nôtre (l’action humaine) n’est pas absolue, mais limitée.
Agir, ce n’est pas faire ; le faire est plus vaste que l’agir. Ainsi les clochards de Beckett font-ils quelque chose en attendant Godot, mais ils n’agissent pas.
« Si cette fable se permet de ne plus relater d’actions, c’est parce qu’elle parle d’une vie devenue inactive ; si elle se dispense de raconter des histoires, c’est parce qu’elle décrit des hommes privés d’histoire. Que le bric à brac d’événements et de bribes de conversations dont la pièce est faite surgisse sans motif, s’interrompe sans motif ou se répète tout simplement, personne ne le nie : cette absence de motivation est motivée par son objet même et cet objet est la vie, une vie qui n’a plus moteur ni mobile. »
Ne rien faire, c’est encore faire, alors que ne pas agir n’est pas une façon d’agir.
Слайд 21Praxis et poiesis
La logique de la praxis et la logique
de la poiésis ne sont pas les mêmes : dans
les deux cas, agri et produire, c’est s’inscrire dans l’ordre naturel pour le modifier, ce qui suppose que cet ordre naturel offre en lui-même cette possibilité, c’est-à-dire du jeu, de l’indétermination, de l’inachèvement. Dans un monde nécessaire où rien ne pourrait être autrement qu’il n’est, monde qui serait donc transparent à la science, il n’y aurait de place, ni pour l’art ni pour l’action humaine. Nous vivons dans un monde de la matière qui est puissance des contraires, facteur d’indétermination.
« Il en résulte que c’est la matière, laquelle est susceptible d’être autre qu’elle n’est qui sera la cause de l’accident ».
La matière est à la fois ce en quoi se réalise la forme et ce qui limite le pouvoir de réalisation de l’essence. La technè a pour tâche d’aider la forme à d’actualiser. Cette insuffisance de la détermination qui n’est pas une privation de finalité est la condition de la praxis.
Слайд 22Être indifférent aux circonstances ?
Contrairement aux stoïciens pour lesquels l’action
morale n’est pas une action sur le monde : si
le monde est rationnel, il est absurde de vouloir le changer, c’est pourquoi la question stoïcienne n’est pas : que devons-nous faire ? En raison de l’immanence du logos au cosmos, les obstacles au bonheur ne résident pas dans les circonstances, mais plutôt dans nos passions qui nous font dépendre des circonstances.
Une telle indifférence aux circonstances est pour Aristote totalement inconcevable, puisque l’indétermination n’est pas imputable à la limitation de nos connaissances, mais inscrite dans l’ordre du monde.
Слайд 23Deux modalités de l’actualisation
Dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote distingue deux
modalités de l’actualisation :
- la praxis ne se rapporte
pas à une fin extérieure, mais inclut en elle sa propre fin.
« Seul le mouvement dans lequel la fin est immanente est l’action ».
À chaque moment de la praxis nous sommes à la fois ce qui est présentement et ce qui a été (de même que lorsque nous voyons, nous avons déjà vu, lorsque nous vivons, nous avons déjà vécu, la vie que l’on mène est l’acte de la vivre, on vit toujours sa vie pour Aristote : lorsque le terme de la praxis est atteint, le mouvement ne cesse pas. Cad : la praxis consiste en la réitération de son accomplissement. L’activité immanente est l’acte qui est complet et achevé à chacun de ses moments et qui ne cesse pas lorsque sa fin se trouve atteinte.
Слайд 24Poiesis
Par contraste, la construction de la maison cesse dès qu’elle
a atteint sa fin, de même façon que l’on ne
peut guérir et avoir guérir; dans la poiesis, c’est dans l’œuvre que s’accomplit l’energeia, la mise en œuvre. Alors que dans la praxis, l’énergeia a son principe en elle-même, dans l’agent.
Pour le dire encore autrement, dans la poiesis il y a une extériorité de la puissance et de l’acte, dans la praxis la puissance est intime à l’actualité. La fin de la praxis est la perfection de l’agent, l’acte ne se concrétise pas dans un objet, mais dans une manière d’être.
Слайд 25Praxis et eupraxia
Dans la production (poiésis), l’artiste agit en vue
d’une fin, car le produit, le résultat n’est pas une
fin au sens absolu. Il est quelque chose de relatif à quelqu’un et à quelque chose (pro ti kai tinos).
Au contraire, dans l’action, ce que l’on fait est une fin au sens absolu, l’eupraxia est une fin. Non seulement dans la poièsis, production et produit sont différents, mais le produit qui est la fin du mouvement est à son tour relatif à d’autres fins (à son utilisation et à son utilisateur).
Il y.a donc une subordination de la poiésis à la praxis laquelle est sinon autonome, du moins autotélique. L’eupraxia, c’est l’accomplissement de l’homme, de l’humain en l’homme.
Слайд 26Praxis et eupraxia
La praxis a sa finalité dans l’agent. Le
« ce en vue de quoi d’une action, c’est toujours le
déploiement, la réalisation de quelque chose dans l’agent, ou plus exactement de l’agent, une de ses potentialités, alors que la poiésis a sa finalité dans le produit; ce qui fait l’excellence de l’acte de produire, c’est l’œuvre, le produit réalisé, le produit réussi. En revanche, ce qui fait l’excellence de l’acte d’agir, c’est l’action elle-même si elle est bonne. Sa fin est l’air bien, l’eupraxia. L’action ne fait rien à proprement parler, elle n’amène rien au jour qui soit détachable, qui perdure par lui-même, qui soit quelque chose comme de l’agi qui aurait une subsistance comparable à une œuvre. Rien sinon qu’elle transforme, améliore (ou empire si elle est mauvaise) l’agent lui-même et son monde qu’il partage avec d’autres agents.
Слайд 27Poièsis et praxis
Toute œuvre achevée est anonyme au sens où
même signée elle n’appartient plus à son producteur, mais au
monde ou à l’histoire. Elle vaut pour elle-même si elle est achevée alors qu’une action est nécessairement « personnelle » (et ce même si l’agent est collectif) parce qu’elle engage et définit l’identité de l’agent. Ce qui se traduit sur le mode héroïque par exemple, par la gloire qui perpétue le nom propre de l’agent et sur le mode éthique par le bonheur, privé ou public Ainsi sur le plan politique, il diffère sensiblement de considérer la Cité comme une œuvre dont les gouvernants seraient les maîtres d’œuvre, les techniciens ou comme une communauté d’agents, comme une communauté agissante. Dans un cas, la politique sera considérée comme une fabrication qui vise à un idéal d’achèvement, dans l’autre comme l’accomplissement de ceux qui participent à la vie de la Cité.
Слайд 28Le prudent, phronimos
La prudence définie comme la disposition accompagnée de
règle vraie, capable d’agir dans la sphère de ce qui
est bon ou mauvais pour un être humain (VI, 5) est la vertu de l’intelligence pratique, celle qui est rectrice de toutes les vertus.
Dans la vertu authentique qui n’a rien d’un simple conformisme social et qui permet de s’orienter dans le monde, le désir et la règle, « le logos qui indique la fin » sont en correspondance (Éthique à Nicomaque, VI, 2) et cette correspondance est l’œuvre de la prudence qui est par excellence ce qui nous rend capables de vérité pratique, à entendre tout autant comme l’adaptation à une situation et comme l’état de l’homme qui trouve dans l’harmonie de ses puissances désirante et intellectuelle son bonheur dans l’action.
Слайд 29Prudence et phronèsis
Le propre du prudent est à la fois
de savoir délibérer, c’est-à-dire d’ordonner correctement les moyens, parmi les
choses qui sont en notre pouvoir de changer, en vue d’une fin qu’il fait advenir dans la réalité et de reconnaître ce qu’il faut faire dans telle situation singulière, « apercevoir ce qui est bon pour lui-même et ce qui est bon pour l’homme en général » (VI, 5), non pas seulement pour se tirer d’affaire, mais pour agir en homme, pris dans des circonstances où on ne peut pas se contenter de déduire la bonne conduite à adopter de préceptes généraux. Le prudent saisit le général (le convenable, ce qu’il est droit de faire) dans le singulier. À ce titre, on peut le créditer d’une intuition qui n’est pourtant pas celle de l’intelligence théorique qui appréhende par abstraction l’essence dans le particulier. L’intuition pratique opère plus qu’elle ne voit l’articulation entre le singulier (telle situation) et le général (la règle droite). Elle est adaptation qui consiste à fois en une application et une découverte de la règle à appliquer.
Слайд 30Prudence /phronèsis
Cette intuition pratique n’a rien d’un flair mystérieux.
Ce n’est au fond que l’action elle-même, dans son processus,
instruite par le raisonnement délibératif qui, en la rendant possible, nous ouvre, en même temps, à la contingence du réel. Et c’est en ce sens que l’on pourrait dire que l’action n’est fondée sur des principes pour Aristote que pour autant qu’elle est même principe d’invention de réalités.
Слайд 31Heidegger, lettre sur l’humanisme
« Nous ne pensons pas de façon assez
décisive l’essence de l’agir. On ne connaît l’agir que comme
la production d’un effet (das Bewirken einer Wirkung) deren Wirklichkeit dont la réalité est appréciée suivant l’utilité qu’il offre. Mais l’essence de l’agir est l’accomplir (vollbringen). Accomplir signifie : déployer une chose dans la plénitude de son essence, atteindre à cette plénitude. »
Слайд 32D’aristote a arendt
Pour Aristote, il est clair que l’humain ne
peut se révéler que dans la communauté. C’est parce que
le soi humain est rapport à autrui que l’action politique est réalisation de soi. Si la théoria est assimilation au divin, la praxis est commerce, relation avec les hommes. La présence des autres est donc requise pour que nous déployions notre puissance humaine, la révélation de notre être humain.
Hypothèse d’Hanna Arendt dans La condition de l’homme moderne: c’est la peur de la fragilité des affaires humaines qui sous-tend l’assimilation du politique à l’économique, et la confusion de l’agir et du faire.
Слайд 33Arendt, La condition de l’homme moderne
« Fuir la fragilité des affaires
humaines pour se réfugier dans la solidité du calme et
de l’ordre, c’est en fait une attitude qui paraît si peu recommandable que la majeure partie de la philosophie politique peut s’interpréter comme une série d’essais en vue de découvrir les fondements théoriques et les moyens pratiques d’une évasion définitive de la politique ».
Слайд 34Arendt, la condition de l’home moderne
Cette identification du faire et
de l’agir est un moyen de fuite qui consiste à
conférer au domaine des affaires humaines la solidité inhérente à l’œuvre et à la fabrication.
La triple dimension de la vita activa (moderne) pour Arendt :
Le travail = la vie dans son aspect biologique, la condition d’une nécessité vitale.
L’œuvre = condition de mondanité qui exprime notre appartenance au monde.
L’agir = condition de pluralité.
Слайд 35COURS II - le 5/12/2019
II. Champs de problématisation de l’agir
III. Les circonstances de l’action.
Слайд 36II. Problématisations de l’agir
1. La tension entre la variété
et l’unité de l’action.
L’enjeu que nous nous proposons dans
ces séances pourrait très bien être de montrer qu’il n’y a pas « de révélateur grammatical simple de l’agir ».
D. Davidson, Actions and Events : « quels sont les événements qui dans l’existence d’une personne signalent la présence de l’agir ? Ou pour le dire en d’autres termes, comment détecter l’agir ? À quoi reconnaît-on les actes d’une personne par rapport aux choses qui lui sont simplement arrivées ? Quelle est la marque distinctive de ses actions ? »
« Les philosophes semblent souvent penser qu’il doit y avoir un révélateur grammatical simple de l’agir, mais on n’en a découvert aucun. J’ai drogué la sentinelle, j’ai contracté la malaria, j’ai dansé, je me suis évanoui. Durand a reçu de moi un coup de pied. J’ai survécu à Dupont: cette série d’exemples montre qu’une personne nommée comme sujet dans ces phrases à l’acte ou comme objet dans des phrases au passif peut être ou ne pas être l’agent de l’événement rapporté.
Слайд 37J. L. AUSTIN, A plea for excuses
J. L. Austin
a lui aussi mis en doute l’idée que l’on puisse
trouver une caractéristique ou une définition générale de l’action.
Cf. Plea for excuses. Portée plus générale que de travailler sur les excuses qui avant J. L. Austin n’était sans doute pas un matériau considéré comme authentiquement philosophique.
J. L. Austin s’appuie sur la manière dont nous présentons des excuses pour faire ressortir de profondes différences entre les modes d’action. Il s’agit de renverser ici le mouvement classique de l’enquête philosophique : non pas d’abord considérer l’action et dans un second temps seulement examiner ses justifications et ses causes. Au contraire, J. L. Austin montre que c’est ce qui est « dummy » de l’action qui permet de définir l’agency (agentivité). Il fait ressortir les différences très fines entre une action faite intentionnellement, délibérément, exprès et la même faits comme on le dit lorsqu’on s’en excuse « pas exprès ». Les excuses font partie intégrante de l’action humaine, elles ne sont pas seulement rétrospectives.
Enjeu philosophique profond de ce texte de J. L. Austin : mettre en évidence le détail et la diversité de nos modes d’action et de justification de nos actions. L’action st précisément ce dont on ne peut pas s’excuser.
Слайд 38Logique de l’agir
Si l’on vise à partir de ce
constat à analyser la logique de l’agir elle-même, on se
demandera ce qui en est la pierre de touche :
- l’intention
- la délibération
- le résultat ?
Comment rendre compte de l’unité de l’agir si l’agir reste tributaire d’une délibération à laquelle il ne s’identifie pourtant pas ?
Tension problématique en elle-même ici entre l’amont de l’action, l’intention et la délibération et l’aval de l’agir, son résultat.
Слайд 39Temporalité de l’agir
Une seconde piste de problématisation est celle de
la temporalité de l’agir : l’agir s’inscrit dans une durée
et cette inscription dans le temps n’a rien d’une propriété parmi d’autres de l’agir.
On pourrait dire que la temporalisation de l’agir est la vérité de sa processualité.
Cette dimension temporelle est étroitement liée aux risques de l’action, à sa fragilité, à son indétermination constitutive : il reste toujours une part aveugle, risquée, incertaine de l’agir qui coïncide étrangement avec la détermination et l’engagement de l’agent dans l’action.
Слайд 40Modalités de l’agir
Une troisième tension cruciale pour la philosophie
morale et pour la philosophie de l’action est celle qui
existe entre pouvoir et devoir, entre pouvoir et vouloir. Là encore, l’éthique et la philosophie de l’action qu’on adopte sont tributaires de la pierre de touche que l’on choisit ici :
A) est-ce la volonté qui détermine l’agir, et qui lui confère à la fois son contenu, sa visée et son idéal? (L’autonomie kantienne)?
B) ou à l’inverse est-ce en agissant que nous nous déterminons (L’Ethique de Spinoza, Certaines des critiques adressées par Hegel à la moralité kantienne)?
Слайд 41Kant – fondements de la métaphysique des mœurs
Kant présente
son projet comme la recherche d’un principe inconditionné, « le principe
suprême de la moralité » qui vaudrait pour lui-même et qui serait au fondement de tous nos jugements moraux.
À un critique qui par ironie se demandait si « toute la réforme morale kantienne devait seulement se limiter à unie nouvelle formule », Kant répondit la chose suivante :
« Ce critique qui voulait trouver un reproche à faire à cet écrit a été plus pertinent qu’il ne pensait l’être en disant qu’on n’a établi aucune nouveau principe, mais seulement une nouvelle formule de la moralité ».
C’est bien ce que Kant s’est proposé.
Слайд 42KANT, PRÉFACE DE LA CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE
« Mais qui
donc aussi pourrait prétendre proposer une nouvelle proposition fondamentale (Grundsatz)
de la moralité en général et être pour ainsi dire le premier à la découvrir ? Comme si avant lui le monde sur ce qu’est le devoir avait été dans l’ignorance ou en permanence dans l’erreur. Mais celui qui sait quel est l’intérêt pour le mathématicien d’une formule qui détermine très précisément ce qu’il y a à faire pour effectuer une opération et s’assurer du résultat ne regardera pas comme quelque chose d’inintéressant et de superflu une formule qui fait cela en ce qui concerne tous les devoirs en général. »
Слайд 43Le fait de la raison
Comment Kant peut-il présenter les
Fondements de la métaphysique des Mœurs comme la recherche du
principe ultime de toute la sphère pratique et écrire qu’on ne saurait prétendre proposer un nouveau principe de la moralité et prétendre être le premier à le découvrir ?
Pour Kant, la proposition fondamentale de la moralité n’a besoin d’aucune recherche en raison du fait même de la raison : le fait de la raison est la loi morale elle-même, le contenu de la conscience, et non simplement la conscience de la loi. Ce fait est la présence en nous de la raison pratique pure elle-même. Avant de comprendre ce que la Loi ordonne, nous avons conscience qu’il y a la Loi, qu’elle nous est donnée.
Слайд 44La voix de la raison pratique
La raison humaine n’est pas
l’auteur de la loi, elle ne la crée pas librement,
elle la reçoit passivement. Il est utile de se demander d’où vient que la loi éthique nous oblige dès lors qu’elle se donne originairement comme obligation. La voix de la raison pratique est unüberschreibar (littéralement : il est impossible de crier assez fort pour qu’on ne l’entende plus).
« La voix de la raison est à l’adresse de la volonté aussi claire qu’impossible à couvrir par aucune clameur, aussi audible même pour l’homme le plus ordinaire ».
Le devoir réside ici dans « ce fait de cultiver sa conscience, d’aiguiser l’attention portée à la voix du juge intérieur et d’appliquer tous les moyens (ce qui n’est par conséquent qu’un devoir indirect) permettant de faire entendre cette voix » (Kant, Métaphysique des mœurs, II, DV, GF, p.246)
Слайд 45Le fait de la raison
La certitude apodictique (Déf. Qui
a une évidence de droit et non de fait) qui
s’attache à ce fait garantit la réalité objective de la loi morale et nous révèle ainsi la vérité première à partir de laquelle pourra se déployer toute la métaphysique pratique de Kant.
Factum der reinen Vernunft : fait de la raison pure est une expression étrange. Kant en est tout à fait conscient. Le terme de fait peut évoquer la facticité des données sensibles. La loi morale n’a rien d’un fait empirique et sa réalité objective ne saurait être mise en doute en supposant même qu’on ne puisse alléguer dans l’expérience aucun exemple où elle ait été exactement suivie.
Kant précise qu’elle est donnée « pour ainsi dire comme un fait ». La loi morale est un fait en un autre sens : c’est une donnée qui n’est pas déduite de vérités antérieurement établies, et qui se présente à nous comme une donnée primitive au-delà de laquelle on ne peut remonter. Elle est un principe, un principe authentique à partir duquel d’autres données pourront être déduites, mais qui n’est tiré d’aucun raisonnement ».
Слайд 46KANT, CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE
« On peut appeler la conscience
de cette loi fondamentale un fait de la raison parce
qu’on ne saurait le tirer par le raisonnement des données antérieures de la raison, mais parce qu’elle s’impose à nous par elle-même comme une proposition qui n’est fondée sur aucune intuition ou pure ou empirique. »
Ce principe n’est pas à chercher pour Kant dans l’acte de comprendre théorique. Le fait de la raison nous fournit un donné qui est immédiat, qui s’impose par lui-même et ne dérive d’aucun raisonnement, puisque ce donné ne saurait non plus être tiré d’aucune expérience, il est a priori et nécessaire.
Слайд 47Elle s’impose comme un axiome
La conscience de la loi morale
est donc un fait absolument premier qui ne se fonde
sur aucune connaissance pratique ou spéculative. La loi morale est ainsi un principe absolu qui ne saurait être l’objet d’aucune déduction et ne requiert d’ailleurs non plus aucune déduction.
La loi morale n’a d’autre critère qu’elle-même, elle est à elle-même sa propre marque : « elle s’impose comme un axiome » et se fait connaître elle-même. Elle se soutient d’elle-même. Ce principe moral n’a besoin d’aucune déduction et d’aucun principe pour sa justification.
Слайд 48Une nouvelle formule de la moralité ?
En quel sens faut-il
alors comprendre que Kant n’établit pas de nouveaux principes pour
la morale (pour l’action), mais seulement « une nouvelle formule de la moralité » ?
Au sens où Kant mène une analyse, une élucidation de la moralité qui s’emploie à conquérir une intelligence claire du principe dont chacun fait usage dès qu’il porte un jugement en ces matières. L’ambition de Kant est donc de porter au langage une voix de la raison rendue à sa distinction et dépouillée de ses projections sociologiques, politiques, psychologiques, culturelles ou religieuses qui viennent souvent la recouvrir.
Слайд 49Le sens mathématique de la formule
Cette formule doit être
prise au sens mathématique du terme : elle délivre un
moyen pour résoudre avec une rigueur maximale tout problème moral susceptible d’être rencontré, le dépouillement pratique ici ayant des effets de clarification pratique.
Si tout homme entend la voix de la raison, cela ne signifie pas qu’il s’empresse de l’écouter, tout homme est loin de pouvoir en restituer la parole. Il s’agit donc d’élaborer une grammaire a priori de l’expérience morale.
De même que nous parlons une langue sans en maîtriser de manière conceptuellement claire les lois et qu’il est possible de mettre au jour cette structure, de même la purification philosophique du nerf rationnel de l’expérience morale permet en retour de s’y orienter avec davantage d’assurance.
Слайд 50Le sens mathématique de la formule
Cette comparaison que Kant effectue
avec les mathématiques est étroitement lié au sens du principe.
« Nous sommes dans la connaissance morale de la raison humaine parvenus au principe de celle-ci, un principe qu’assurément elle ne se représente pas ainsi isolément sous une forme universelle mais que néanmoins elle a toujours en vue et qu’elle utilise comme un étalon dans le jugement qu’elle porte ». (Fondements de la métaphysique des mœurs, première partie).
« Il serait facile ici de montrer comment ce compas à la main, elle sait parfaitement dans tous les cas qui surviennent distinguer ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est conforme au devoir, ce qui est contraire au devoir dès lors que simplement sans rien lui apprendre de nouveau, on la rend attentive comme le faisait Socrate à son propre principe? »
Слайд 51Les inclinations sensibles
Cette élucidation/clarification n’est pas seulement possible ou
souhaitable, elle est nécessaire en raison des si nombreuses illusions
théoriques en matière de moralité qui sont une sorte d’image inversée des illusions métaphysiques.
Alors que les illusions métaphysiques s’ancrent dans l’aspiration de la raison à l’inconditionné, au mépris de l’inscription de toute réalité objective de nos concepts dans le champ conditionné du sensible, la raison qui réfléchit sur le fait moral est à l’inverse tentée de faire des inclinations sensibles l’inconditionné en matière de détermination du vouloir.
Elle est tentée d’accorder au désir de plaisir une puissance aussi irrésistible qu’exclusive concernant notre volonté et de se dissimuler sa capacité à fournir elle-même au choix le ressort dont il a besoin, cad son pouvoir de déterminer par elle seule comme raison pure le vouloir.
Слайд 52Comment dois-je agir ?
C’est en ce dernier sens que
Kant propose une reformulation de la moralité :
« Que dois-je
faire ? » n’obtient de réponse qu’à être changé en « Comment dois-je agir »?
Au sens où ce qui est obligatoire n’est jamais tel que parce qu’il incarne une façon de se conduire. L’injonction morale ne commande pas directement une action, mais toujours d’abord une manière d’agir.
Слайд 53La bataille kantienne
C’est pourquoi il ne faut surtout pas
entendre cette qualification de « nouvelle formule de la moralité » de
manière irénique : Kant livre une bataille sans merci sur deux fronts :
- ruine les morales intellectualistes de la perfection.
- réfute les morales du sentiment.
La reformulation de la moralité de Kant se distingue autant de l’intellectualisme que du sentimentalisme, car l’une et l’autre positions partagent ce présupposé que la raison serait pr elle-même impuissante à déterminer par elle-même la volonté, qu’elle servirait seulement à tracer un chemin permettant d’atteindre le Bien qui la précéderait dans son identification comme dans sa motivation.
Слайд 54Une morale prescriptive
Pour Kant, on ne peut donc conserver
au Bien sa consistance objective que si l’on consent à
ne pas le traiter comme un principe : Le Bien n’est pas donc on peut tirer une loi morale, il est ce que la loi morale prescrit.
La loi morale qui se donne à chacun de nous sous la forme d’un impératif catégorique, cad un « tu dois » qui n’est assorti d’aucune condition est un fait (chacun entend cette voix comme nous l’avons vu) et un fait non-empirique.
Il est pour nous un commandement qui n’a de sens qu’à s’imposer à nous sur le mode d’une obligation en se donnant comme valable indépendamment des aspirations qui caractérisent à chaque fois notre subjectivité particulière, voire contre elles.
Слайд 55Nécessité inconditionnée et fil conducteur
La conscience de la loi morale
est celle d’une nécessité inconditionnée, ce qui spécifie immédiatement la
rationalité de sa provenance. Cette injonction inconditionnée dont la dimension contraignante implique qu’elle se donne à moi comme me dépassant et comme étant universelle et nécessaire.
Reste donc à l’exposer : de quel fil conducteur dispose-t-on si l’on veut éviter d’importer dans le champ de la philosophie morale des présupposés qui n’y jouissent d’aucune légitimité et qui auraient pour effet de ruiner l’entreprise en injectant au cœur de ce qui doit relever d’une élucidation rationnelle une dimension empirique ?
L’exposition de la loi morale ne peut s’orienter sur rien qui lui soit extérieur. Elle doit donc se faire au fil directeur de son seul caractère de loi cad de sa légalité qui signifie l’universalité et la nécessité d’un rapport.
Слайд 56Morale vs anthropologie
Le fondement de l’obligation ne doit pas être
ici cherché dans la nature de l’homme, mais a priori
uniquement dans les concepts de la raison pure » (préface des Fondements de la métaphysique des mœurs).
La philosophie morale pour Kant est avant tout le lieu d’une confusion du rationnel et de l’empirique:
« Une philosophie qui mélange ces principes purs avec les principes empiriques ne mérite pas le nom de philosophie ». (Fondements, p.55).
Слайд 57Éthique matérielle/éthique formelle
Tous les principes matériels, cad ceux qui
fondent la morale sur la poursuite d’un objet (perfection, bonheur,
vie bonne) sont empiriques. Que tel ou tel objet soit désirable, ne saurait jamais procéder de sa nature même, mais seulement de son rapport au sujet désirant empirique, toujours particulier et contingent.
Toute éthique matérielle est donc en vérité une technique du plaisir qui ne saurait prétendre à l’universalité. Si l’on est conséquent, nous n’avons qu’un choix : hédonisme ou formalisme. L’expérience morale n’est pas celle d’une séduction, mais d’une injonction contraignante (tu dois). L’empirisme moral n’est pas fidèle à l’expérience morale qui est celle d’un tu dois. La seule position conséquente est donc la position kantienne : la conscience du devoir se fonde sur une loi qui consiste toute entière dans la simple forme d’une législation universelle.
Слайд 58L’impératif catégorique
L’unique loi morale s’énonce ainsi : « agis de telle
sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir
en même temps comme principe d’une législation universelle ».
L’impératif catégorique exige de moi que ma manière d’agir puisse faire loi, que ma maxime, cad la règle particulière selon laquelle je me détermine à agir ici et maintenant, puisse valoir pour tous ceux qui seraient confrontés à une situation du même type.
Il commande en outre que j’adopte une telle maxime légale pour la seule raison qu’elle est telle, cad que j’obéisse à la loi par pur respect pour elle en faisant abstraction de tout autre ressort qui pourrait relever de mes intérêts empiriques, ce qui définit en propre la moralité de l’intention par différence d’avoir la simple conformité de l’action à la loi.
Слайд 59Sens du formalisme kantien
Ce formalisme est donc tout le contraire
d’un enfermement dans la forme : il implique que la
morale ne saurait être consignée dans un livre de recettes exposant par le menu ce qui doit être fait. Il reconduit chacun à la question qu’il doit prendre en charge pour lui-même : tous pourraient-ils agir ainsi et pourrions-nous alors faire monde ?
L’impératif catégorique ne commande aucune action déterminée, et l’on ne doit pas sans étonner, c’est imposé par son statut de principe fondateur.L’impératif catégorique est une méthode d’évaluation. Il me permet de savoir si cette action-ci que je me propose selon un certain principe est morale, cad objectivement pratique.
L’impératif catégorique ne produit pas des lois, mais donne lieu à des décisions morales à chaque fois singulières. Il ne nous enjoint pas à faire quelque chose mais à le faire(ou à ne pas faire quelque chose d’une certaine manière.
Слайд 60Applicabilité du principe
« Agis à tout moment d’après la maxime dont
tu peux vouloir en même temps l’universalité sur le mode
d’une loi ».
Si l’impératif catégorique est une méthode d’évaluation, la pierre de touche en sera son applicabilité. D’où sa seconde formulation qui est supposer en faciliter l’accès dans les sujets agissants :
« Agir comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ».
Слайд 61CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE TYPIQUE DU JUGEMENT
Une étape
cruciale dans la Critique de la raison pratique, car un
type est le un procédé pour construire intellectuellement une représentation. Il s’agit donc de se figurer la règle du devoir. C’est une épreuve décisive puisque sans elle on aurait un principe certes absolu, mais qu’on ne pourrait concrètement jamais mettre en pratique. On pose que les hommes forment une nature et il est jugé si moi, par ma maxime je peux valoir comme un homme possible. Si je peux me considérer comme un être participant à la formation d’une nature, l’essai est probant. L’épreuve consiste donc à me représenter comme partie d’une nature dont ma maxime, c’est-à-dire le principe que j’adopte pour agir en cette circonstance vaudrait comme une loi.
Слайд 624 exemples
Voyons les 4 exemples donnés par Kant dans
les Fondements de la métaphysique des mœurs (p.98-100) :
1.
Une nature qui aurait pour loi de détruire la vie, en vertu même du sentiment, de l’amour de soi dont la destination est de pousser à l’attachement à la vie, se contredirait elle-même, serait contre-nature.
Attention : c’est un procédé de figuration. Kant ne nous dit pas que le suicide est un acte contre-nature et que c’est ce qui le rendrait condamnable.
Je pense seulement ma maxime, la raison qui justifie mon acte, je dois quitter la vie dès qu’elle m’est trop pénible comme une loi de la nature. En l’universalisant, la contradiction éclate car une telle nature déterminerait par sa loi un sentiment qu’elle a pourtant institué à favoriser la vie, à la détruire.
Слайд 63Second exemple
Celui qui fait une promesse avec l’intention de
ne pas la tenir pose le respect des promesses en
loi universelle sinon il ne promettrait pas tout en demandant qu’elle ne soit pas universelle puisqu’il sait qu’il ne la tiendra pas. Il abroge ainsi l’universalité de la loi au moment où il la reconnaît (puisqu’elle est la condition de ce qu’il fait) et ce sophisme apparaît avec évidence dès que l’on se représente cette maxime (je fais une promesse mensongère pour me sortir d’affaires) comme une loi, car je vois d’emblée qu’elle ne pourrait jamais d’accorder qu’avec elle-même.
Слайд 643ème EXEMPLE
Je m’adonne à la paresse. Si je me
représente que la destination de mes talents est de rester
en jachère, si je me représente cela comme institué par ma volonté, alors je serais le législateur d’une nature qui produit des dispositions et en même temps interdit de les utiliser. En transformant un « je fais ainsi » en un « c’est ainsi que je dois faire » en vertu d’une loi naturelle, l’incohérence de cette nature est flagrante.
Слайд 65DERNIER EXEMPLE
Enfin si la maxime de se soucier uniquement de
soi sans porter secours à autrui était une loi de
la nature, et donc à l’instar du second exemple était rendue publique, je m’exposerais à être à mon tour laissé à l’abandon en cas de détresse, il n’y aurait plus rien de commun, et j’instituerais une nature où je ne voudrais pas être ou dont je m’excepterais volontiers.
Слайд 66Portée des exemples
Que nous disent ces exemples ? L’esquisse
d’une nature possible régie par mes maximes sert d’épreuve significative,
non pas à cause des conséquences empiriques qui s’ensuivraient pour le sujet en exposant le menteur à être trompé à son tour, l’égoïste à être isolé de l’humanité, mais en raison d’une contradiction interne de la maxime sitôt qu’elle est érigée en loi.
Il ne s’agit donc pas de condamner l’escroc, le suicidaire, le fainéant, le petit bourgeois, mais de mettre en évidence que leurs actions, bien qu’elles aient des motifs ne sont pas régies par des principes objectifs et qu’elles s’autorisent par conséquent de fausses raisons.
Слайд 67Portée de ces exemples
Ces exemples ne sont pas sur
le même plan : pour les deux derniers, l’universalisation de
la maxime peut être conçue sans contradiction:
« Une nature qui se conformerait à une telle loi universelle (de la paresse) pourrait continuer à exister ». Elle serait stagnante.
Et l’espèce humaine pourrait assurément continuer d’exister si chacun restait dans son coin en s’abstenant de nuire à son semblable. Une telle nature serait simplement inhumaine. Concevable ou logiquement possible, mais elle ne saurait être voulue sans contradiction.
Mais il existe une unité plus large de ces 4 exemples qui les dote d’une signification plus radicale. L’épreuve qui permet d’appliquer ici l’impératif catégorique consiste conjointement à universaliser ma maxime et à envisager la nature comme un monde régi non pas par la causalité efficiente mais par les lois de la liberté. Le meurtre est un mal non seulement parce que le meurtrier se contredit en l’érigeant comme en loi, mais parce qu’un monde dont il serait la loi institué sombrerait dans le néant. L’existence d’un monde sensé, sa possibilité réelle est l’enjeu ultime de l’impératif, le critère permettant d’évaluer les maximes, leur prétention à valoir comme principes.
Слайд 68L’impératif catégorique comme impératif qu’il y ait un monde
Vouloir agir
par devoir revient à vouloir qu’il y ait un monde
plutôt que rien. Il y a là comme une décision en faveur du monde, contre le néant toujours possible qui le borde.
Cette décision est fondamentalement éthique, car comme le montrera Nietzsche dans la Généalogie de la morale : « L’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne pas vouloir du tout ».
C’est au fond la définition du nihilisme que l’action est sommée de conjurer. L’impératif catégorique dans cette mesure est l’impératif qu’il y ait un monde
« Supposez un homme, respectant la loi morale à qui vient l’idée de rechercher quel monde il pourrait créer, guidé par la raison pratique, s’il en avait le pouvoir et s’y plaçait lui-même comme membre. (…) Il voudrait qu’il existât un monde d’une manière générale. » (Religion dans les limites de la simple raison, p.23-24)
Слайд 69Relecture des 4 exemples
Sur cette base il est possible
de réinterpréter les 4 exemples :
- les deux premiers
mettent en jeu l’existence d’un monde, comme monde de la vie (suicide) et comme monde social (mensonge) ; tandis que les natures esquissées sous les pseudo-principes de stagnation et de l’égoïsme ne contreviennent pas à l’existence d’un monde, mais à une conception optimale du monde, à l’exigence qu’il soit le plus parfait possible avec le développement complet de ses virtualités.
Слайд 70Différents types d’impératifs
Nous pouvons à présent revenir au passage
que je citais hier :
« Toute chose de la nature
agit selon des lois. Seul un être raisonnable a la capacité d’agir d’après la représentation de lois, cad selon des principes, autrement dit, seul il possède une volonté ».
Pour Kant, je peux me proposer de réaliser par mon action des fins très différentes et en particulière de réaliser celles qui ne valent que pour moi qui sont donc purement subjectives : je suivrai alors les seuls impératifs de l’habileté qui concernent uniquement la relation moyen/fin et relèvent d’une raison instrumentale.
Ces impératifs nous disent : si tu veux obtenir telle ou telle fin, peu importe laquelle, il faut utiliser tels moyens.
Слайд 71Impératifs hypothétiques
Si je m’élève d’un cran dans l’objectivité (dans
la recherche de fins qui soient moins subjectives), en me
conformant aux impératifs de la prudence: ces impératifs restent instrumentaux, hypothétiques, ils envisagent toutefois des fins communes à l’humanité, et non plus particulières à un sujet. L’exemple ici est simple : celui de la santé.
Nous ne sommes plus dans l’arbitraire pur, mais ce qui distingue la prudence de la véritable moralité, c’est que les fins qu’elle aide à réaliser ne sont communes à réaliser qu’en tant qu’on la considère comme une espèce animale ou biologique.
Слайд 72Impératif catégorique
Je peux enfin accéder à l’objectivité suprême en m’imposant
pour principe de réaliser des fins valant universellement comme telles
qu’elles pourraient même aller à l’encontre de celles qui ne vaudraient que pour moi.
J’entre alors dans la sphère de l’impératif catégorique, sphère de la moralité où sont prescrites uniquement des fins que seul un être libre peut choisir: fins de la raison qui ne sont plus communes à l’humanité en tant qu’espèce biologique, mais aussi en tant qu’elle constitue l’ensemble des êtres doués de liberté et de raison. L’impératif catégorique me commande d’adopter une règle qui soit en même temps confirme à une loi valable pour tout être raisonnable, universelle. Autrement dit que le principe particulier de mon action soit au principe d’une action rationnelle.
Слайд 73Kant, CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE
Supposez que quelqu’un allègue à
propos de son inclination à la luxure qu’il lui est
absolument impossible d’y résister quand l’objet aimé et l’occasion se présentent à lui : si, devant la maison où cette occasion lui est offerte, un gibet se trouvait dressé pour l’y pendre aussitôt qu’il aurait joui de son plaisir, ne maîtriserait-il pas alors son inclination ? On devinera immédiatement ce qu’il répondrait. Mais demandez-lui si dans le cas où son prince prétendrait le forcer, sous la menace de la même peine de mort immédiate, à porter un faux témoignage contre un homme intègre qu’il voudrait supprimer sous de fallacieux prétextes, il tiendrait alors pour possible, quelque grand que puisse être son amour pour la vie de le vaincre quand même. Il n’osera peut-être pas assurer qu’il le ferait ou non, mais que cela lui soit possible, il faut le concéder sans hésitation. Il juge donc qu’il peut faire quelque chose parce qu’il a pleinement conscience qu’il le doit et il reconnaît en lui la liberté qui sinon, sans la loi morale, lui restée inconnue.
Слайд 74Grammaire de l’agir
Enfin, dernière piste de problématisation possible :
une grammaire de l’agir, une analyse grammaticale des degrés de
l’agir (nous y reviendrons amplement).
Cf. V. Descombes, « Causes et raisons », Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale).
« L’action », in Les notions philosophiques, éd. par D. Kambouchner, PUF.
Le Complément de sujet, Paris, Gallimard, 2004.
Слайд 75III. LES CIRCONSTANCES DE L’ACTION
Définir l’action, nous venons de le
voir ensemble, c’est comprendre ce par quoi il n’est pas
réductible à un événement ; c’est tout autant ressaisir sa structure à l’aune de son motif ou de sa fin. Il n’est sans doute pas exagéré de soutenir que la philosophie de l’action s’est focalisée pour l’essentiel sur ces trois directions :
- la distinction entre action et événement (celle qui sépare les raisons de ses causes)
- la saisie de la structure de l’action à partir de son intention ou de ses conséquences.
- l’intentionalité de l’action et les enjeux d’une connaissance proprement pratique.
Слайд 76L’enjeu de ces séances
C’est pourquoi nous nous proposons d’examiner le
poids des circonstances dans la conduite de l’action. Cette perspective
sur l’action est décisive et elle a pourtant été sous-évaluée, sous-déterminée d’une manière frappante.
C’est donc à cette sous-estimation que nous nous proposons de remédier durant ce cycle de cours et de séminaires.
Enjeu : montrer la légitimité à part entière des circonstances entendues comme perspective ou prisme sur l’action, ce qui présuppose de distinguer les circonstances d’un cadre contingent et accidentel de l’action, de son pur et simple accompagnement avec lesquelles elles sont été le plus souvent confondues.